Statue de marbre, précieusement polie, faite pour l’adoration de ses pairs, plus que pour le regard même immortel d’autrui. Perdu sur son visage d’albâtre, là où la déesse a bien dut poser ses doigts afin de modeler cette base triangulaire. Elle y a forgé là, une certaine perfection : une peau blanche et fine qu’on aurait aimé pouvoir donner aux idoles païennes. Deux yeux d’un marron si profond qu’on aurait pu s’y perdre une éternité sans même s’en lasser. Un nez pointu, mais gracieux qu’on ne verrait sur personne d’autre, étrangement symétrique, reflet d’une beauté stricte. Des lèvres fines et diaphanes qui semblent faites pour être embrassées. Sait on si la déesse elle même, ne si serait pas risquée ? Un front noble, un menton fier voilà qui vient compléter le tableau exquis de son visage, et tout aussi exquis , le gracieux cou dont il est doté.
Tout cela ne serait point terminé sans la crinière blonde et longue dont elle lui a fait don. Etrange piège solaire, dispensant son attrait a qui veut bien le regarder, ne dégageant pourtant aucune lumière propre, reflétant un champ de céréales à la faveur d’un été favorable et proche de la moisson.
Et dans son fantasme ,elle aurait destiné ses mains fines et longues plutôt à l’amour qu’à la guerre. Douces pour caresser mais longues pour empoigner le manche d’une épée. Elles sont parées d’ongles translucides, faites pour tracer des sillons sur la peau nue et en trouver les moindres secrets , mais aussi pour s’enfoncer dans une orbite et en arracher le globe.
Sa grande stature, imposante sans être grotesque, fine sans être frêle, mince sans être maigre, impose un respect renouvelé à ses contemplateurs. Tout cela est empli d’un orgueil et d’une fierté tel qu’elles transparaissent comme une aura autour de sa personne. Faisant de lui l’être aimé et détesté à la fois par ceux qui ne le jugent que par son aspect.
A quoi bon tant de perfection physique, si le caractère n’en est pas parfait ? Il semblerait que l’investigateur de cet être n’en décidait pas moins que la perfection. Nommons en vrac quelques unes de ses qualités : juste, droit, intègre et sage. Alors nommons aussi quelques uns de ses défauts : juste, droit, intègre et sage.
Nous voilà dans un complexe paradoxe. A trop vouloir bien faire on obtient que l’image de la perfection et de la non perfection.
Et que résulte t’il de cette image ? Un monstre en son sens le plus strict.
Il est si juste , qu’il a fini par comprendre que nulle justice n’existe en cette terre. Le bien et le mal ne prennent sens qu’avec ceux qui lui en donnent. Si bien qu’aucune créature ne mérite de vivre et par cela ne mérite de mourir. Elles devraient simplement cesser d’exister , retourner au néant là où la justice ne possède pas de valeur .
Il est si droit, que la fourberie lui cause un accès de mépris pour le malheureux écarté du chemin de la loi , que ce soit d’un pouce ou d’un hectare, il ne demeure que la solution de l’expiation par la mort.
Pour le fou qui voudra toucher à son intégrité ou qui voudra insulter son statut impartial et objectif sur la scène du monde eh bien…
Il est reconnu pour son inépuisable sagesse, si impressionnante qu’au final elle se réduit à cela : « Vanités des vanités , tout est vanité et poursuite du vent. »
Ajoutons a cela l’arrogance de sa fonction, l’intransigeance de son esprit et l’inéluctable pureté de son être.
Je vous aurai alors dépeint son portrait complet et je vous le résume encore juste, droit, intègre et sage.
« Pah, pah, pah, pah, Pah, pah, pah, pah, Pah, pah, pah, pah……
Est ce la mer que j’entends au loin ? Je me rappelle, c’était un lieu plein de vie où moi, je devais avoir six ans. Je gambadais au bord des vagues. Je jouais avec le ressac en me servant de mes petites jambes fragiles, et je les suivais jusqu'à ce qu’elles me submergent. Je repartais, virevoltant . L’air chargé de sel apaisait mon corps excité par les jeux .Ma mère venait me sauver à coup de grands éclats de rire. Je me souviens. Ce rire, c’est la définition que je donne au bonheur.
3, 2, 1, dégagez…
Et ce bruit, qu’est ce ? Une bicyclette et le tintement charmant de la bouteille de plastique contre les rayons. Je fonçais comme un taureau à travers la grande allée boisée , en criant « Chaud devant ! ».La lumière filtrait entre les arbres , comme un air murmuré qui rendait mes pieds moins lourds. Manquant d’écraser le chien du voisin non sans effroi, qui cherchait à attaquer mes roues. Je ne me rendais pas compte du bonheur caché , ignorant la venue de mon chemin de croix.
Faites passer deux cc…
Puis mes souvenirs se perdent entre les salles d’attentes bondées, parce que c’était la cinquième fois que je me brisais la jambe en trois mois. Les piqûres dans mes bras, les prises de sang. Tant de sang dans un si petit corps… Les cachets au goût affreux… Maman m’a dit que j’étais malade, je n’allais plus à l’école. Mes amis venaient me voir souvent afin de jouer ensemble . Et puis un jour ils ne sont pas revenus…
Reste avec nous, fais un effort…
Un matin je ne pouvais plus marcher. J’avais si mal… Les médicaments ne cessaient de changer, et encore ces examens interminables. Maman pleurait dans le couloir , elle n’était pas avec moi. Je ne comprends pas. Ses larmes… C’est ma définition du malheur…
Sois fort mon grand, n’abandonne pas maintenant…
Les années ont passé. J’ai grandi maintenant. Maman m’a offert tant de présents pour mon passage dans la vie adulte . Je suis grand mais je dors près d’elle. Mon corps ne m’obéit plus. Les machines sont branchées en permanence et moi je n’ai pu que cligner des yeux pour la remercier de tant de sacrifices. Voilà, ma définition de l’injustice. J’aurais voulu ne jamais naitre. Où alors j’aurais souhaité de ne jamais être malade. Je me bats, je me bats chaque jour. En vain, la maladie gagne et ces machines au bruit sourd qui me laissent artificiellement éveillé…
Asystolie…
Tout cela n’a plus d’importance à présent, tout ce que je voulais faire et que je n’ai pas fait. Tout ce que je voulais dire et que je n’ai pas dit. Tout cela n’a plus d’importance… Si je pouvais recommencer quelque chose, une seule, j’aurais crée un monde plus juste, où les petits garçons ne font pas souffrir leurs parents…Pardonne moi maman. Mon cœur n’a plus la force de rester à tes côtés. Et là fut mon issue pour revoir les étoiles.
Heure du décès… »
Assis par terre sur le sol blanc Elemiah resta surpris. Il pouvait, pour la première fois depuis ce qui lui semblait une éternité, bouger ses doigts. Fasciné pendant un long moment par cette étrange sensation, il ne vit pas tout de suite ce qui semblait être une jeune femme et qui l’observait. Son visage recouvert d’un voile, ne laissait apparaître que la bouche. Elle l’attendait patiemment .Lorsqu’il l’aperçut, il la fixa pendant un moment . Pris d’un léger rire , il lui demanda :
« Je suis mort n’est ce pas ? »
Elle acquiesça. Son expression était rayonnante. Elle s’agenouilla prés de lui, et Elemiah sentit son parfum doux et chaud. Elle approcha ses lèvres à son oreille droite pour lui murmurer:
« Celui qui sans jamais bouger et sans vaciller saisit le présent, approfondit son état de vie. Ayez le cœur déterminé à faire ce qui doit être fait aujourd’hui . »
Surpris , Elemiah marqua un temps de réflexion. Il prit l’affirmation très au sérieux afin d’en comprendre tout le sens. Que souhaitait t’il le plus au monde ? Pendant cette éternité de souffrances, que n’avait t’il cessé de prier ? Au bout d’un long moment, il approcha à son tour son visage de celui de la Dame. Si aucun son ne sortit de sa gorge, son expression sereine montrait qu’elle avait pu lire sur ses lèvres : Quelque chose de juste…