Physiquement, physiquement… banale me direz-vous. J’avais des cheveux d’un noir encre m’arrivant jusqu’aux hanches, raides comme des baguettes. Ma mère me les peignait souvent le matin avant que je ne parte au marché. C’était aussi elle qui me les coupait. Elle me faisait toujours cette frange recouvrant entièrement mon front de cette cicatrice reçue lorsqu’un mercenaire était rentré chez nous pour tuer Papa. Mais je les ai toujours haït. Ils me gênaient dans mes mouvements et me tenaient beaucoup trop chaud. Quelques fois, ma mère m’autorisait à les attacher, notamment lorsque je venais l’aider dans les rizières à plusieurs kilomètres de chez nous. Elle m’a toujours envié mes cheveux. Pourtant les siens semblaient identiques, simplement moins longs. Bref, si on regardait un peu plus bas, il y avait mes yeux. D’un vert d‘un clair presque surnaturel, mon regard mettait souvent les gens mal à l’aise, et m’attribuait une assurance que je ne possédais pas. Cette couleur contrastait avec la blancheur cadavérique de ma peau. Déjà vivante, mon teint blafard et ma posture mal assurée laissait présumer d’une misérable vie dont j’allais être l‘actrice. Mon nez quant à lui, était d’une finesse époustouflante. Je pouvais au moins me vanter de cela. Mes sourcils étaient fins, la plupart du temps cachés par mes cheveux, et mes cils noirs et longs embellissaient naturellement mon visage.
J’ai toujours été très maigre. J’étais flanquée de membres fins et longs rajoutant à ma maigreur une fatigue physique indéniable. Mes pas se faisaient hésitants, et j’avais toujours peur de tomber au moindre obstacle, autant au sens figuré qu’au sens propre. Le seul avantage que j’avais à être grande était celui de voir de loin les emmerdes m’arriver en pleine figure. Je n’ai jamais eu de poitrine abondante, loin de là, ce qui était assez source de conflit avec moi-même, et avec mes parents. J’étais leur seule fille, et je devais avoir un corps parfait afin de trouver un mari convenable. J’étais confrontée à ces propos toute mon enfance, à chaque moment de ma vie, et je me haïssais de ne pouvoir au moins pas faire cela pour eux.
Côté habillement, je possédais deux tenues, toutes deux des robes. L’une n’était que très rarement lavée et servait au travail dans les rizières, et l’autre l’était un peu plus, et servirait à un futur rendez-vous avec mon promis. En hiver, si nous avions de quoi acheter du fil, ma mère me cousait des écharpes et des chaussettes pour marcher dans la neige sans craindre de me blesser ou d’arrêter la circulation de mon sang. Mais de toute façon, je n’étais que faiblement vêtue et ce, en hiver comme en été.
Mais tout cela était avant. Aujourd’hui, énormément de choses ont changé. Mes cheveux sont beaucoup plus courts et m’arrivent au milieu du dos. Je porte une robe à corset bouffante noire et rouge sang, déchirée sur le côté. Les manches sont mi courtes ce qui me laisse plus de libre arbitre dans mes mouvements. Je porte également de très jolies bottes noires d’une matière très confortable qui m’arrivent jusqu’aux cuisses. Pour l’élégance, un petit voile de roses couvre une petite partie du côté gauche de mes cheveux. Et pour la classe, une cape noire recouvre l’arrière de ma tenue de ma taille jusqu’au sol, ainsi qu’un seconde accrochée à mes épaules descendant jusqu’à mes cuisses. Mon teint est toujours aussi peu convainquant, mais la couleur de mes yeux a légèrement changé. Je suis passée d’un vert éclatant à un jaune reptile étourdissant.
Les premiers signes d’une seconde vie pleine de vengeance vous dites ?
En cours d'écriture.
Chapitre 1 : Le jour où tout a commencé.
1941, c’était mon année. L’année où ma mère m’avait mise au monde, dans le village de Hiwaeyong, en Corée du Nord. Je suis née dans ce qu’on pourrait appeler une ferme, bien qu’aucun animal ne vécut jamais avec nous. J’ai eu un père et une mère qui m’ont aimée, tendrement, pendant les six premières années de ma vie. Mon père a voulu m’appeler Akane. C’est un prénom japonais, effectivement, mais des restes de l’influence de ce pays de 1910 l‘avaient apparement marqué. Teriku est mon nom de famille. Non pas celui de ma mère, ni de mon père, mais le mien. Je n’ai jamais été réellement déclarée, alors j’ai eu droit à ce privilège que de pouvoir porter le nom que mes parents souhaitaient. Pendant six ans à peu près, ma vie se résumait à du travail avec ma mère du lever du soleil jusqu’à son coucher. Papa partait très souvent dans ce qu’il appelait « la ville » pour vendre nos récoltes et acheter des biens. Mais il nous quittait généralement pour plusieurs jours, ce qui ne me permit pas de beaucoup le voir avant sa mort. De mon côté, j’aimais à vagabonder dans les champs à perte de vue au petit matin, avant que ma mère ne se réveille. Ces balades me permettaient de penser à un futur meilleur, à une vie meilleure. Je ne le savais pas, mais, en réalité, ce seraient là les seuls réels moments de bonheur que je connaîtrais dans ma vie.
Je vous en avais sûrement déjà parlé, mais je savais d’avance que j’allais être confrontée à un destin tristement banal. Il était de tradition que je sois mariée très jeune afin de perpétrer la génération suivante sans plus attendre. Mes parents recherchaient activement quelqu’un qui voudrait bien de moi, mais ce ne fut jamais le cas. Souvent, des disputes éclataient. Je tombais trop souvent, j’étais trop maigre, puis, plus tard, je n’avais pas assez de poitrine… Rien n’allait jamais. D’une manière plus générale, je ne possédais aucune force physique ce qui ne me permettait presque pas d’accomplir des tâches ménagères de grande envergure, et ce qui rajoutait à mon mal être quotidien.
Je détestais quand mon père partait en ville. C’était un homme bon, qui ne levais jamais le ton et qui m’élevais avec beaucoup plus de tendresse que ma mère. Lorsqu’il revenait enfin, il me ramenait toujours quelque chose pour symboliser son amour pour moi. Il passait toujours au moins deux jours avec nous avant de repartir, et je redoutais toujours ce moment avec angoisse. Les adultes dans le village parlaient de gangs violents s’attaquant aux marchands afin de leur dérober leurs marchandises. J’étais toujours très anxieuse de devoir laisser mon père partir, mais je n’avais pas vraiment le choix.
Une semaine avant mes six ans, mon père dut repartir, comme à son habitude, vendre nos récoltes amassées pendant son absence. Il m’avait parlé d’une énorme surprise pour cet évènement et je pensais un moment que je passais une étape importante de ma vie. En fait, je pensais surtout me retrouver mariée avant même de m’en être rendue compte. Il nous parlait jour et nuit de cela, si bien que cela finit par réellement m’angoisser. Malgré tout, j’attendais impatiemment son retour dans les champs, la lumière orangée du soleil marquant la fin de mes jours les plus heureux, balayant la campagne du regard dans l’espoir d’y apercevoir mon tendre paternel. C’était en 1947.
Chapitre 2 : Un rêve qui s’achève.
Je gisais là, dans le noir, en position fœtale, chassant les images les plus violentes d’un coup de tête dans le mur. Me faire mal me soulageait, je n’avais plus qu’à me concentrer sur la douleur physique et oublier celle psychique. Retraçons tout ce qui m’était arrivée, d’accord ?
J’avais sagement attendu mon père tous les soirs aux alentours de chez nous, mais jamais rien. Sous la pluie, sous les nuages menaçants, sous les étoiles, rien. Ma mère semblait embêtée. Nous passâmes le jour de mon anniversaire tranquillement chez nous, espérant secrètement le voir surgir du dehors, les bras chargés de cadeaux. Ce ne fut pas le cas. J’étais à ce moment extrêmement déçue, mais je m’en remettais au lendemain. Je pensais sincèrement que ce n’était que partie remise.
Personne le jour d’après, et jusqu’à la fin de la semaine. Ma déception laissa place à l’inquiétude. Mon père ne revenait pas. Il était parti depuis plus de deux semaines, avait promit de revenir il y avait de cela quatre jours, et n’était toujours pas avec nous. Qu’avait-il bien pu se passer ? A ce moment-là, je ne cessais de repenser aux mises en garde des villageois sur les gangs. Je craignais que mon père ne soit tombé dans un guet-apens. Cela semblait être aussi l’avis de ma mère, qui, au fur et à mesure que les jours passaient, devenait de plus en plus anxieuse. Nous fûmes malgré tout obligées de reprendre notre vie, malgré l’absence plus que pesante de cet homme qui nous manquait à toutes les deux.
C’est la nuit tombée que toutes les horribles choses se passent, tout le monde le sait. Les monstres sortent des placards, les animaux les plus féroces partent chasser, les vampires se lèvent de leurs cercueils, avec pour seul témoin la lune qui les éclaire. Mais des choses bien plus affreuses peuvent aussi se produire, d’humains à humains. Ce soir-là, on a décidé que je ne serais plus heureuse, on a décidé de m’enlever toute l’innocence que le monde m’avait donné. Le destin décida que trois hommes rentreraient chez nous, alors que j’étais encore assoupie dans ma chambre. J’ai entendu des voix, graves et sérieuses, demander où se trouvait mon père. Ma mère répondit qu’elle ne savait pas. Malgré mon jeune âge, je savais qu’il fallait que je me cache. Sous mon lit, j’entendais les tons s’élever. Ma mère supplia, tant de fois que je voulu un instant entrer dans la pièce pour la défendre. Les coups pleuvaient, tout comme mes larmes. A l’époque, je ne savais pas, je ne pouvais pas savoir. Qui étaient ces hommes ? Que nous voulaient-ils ? Pourquoi faisaient-ils du mal à Maman, et pourquoi demander à voir Papa ? La situation les amusait. Ils prenaient plaisir à tabasser ma mère, ses supplications même les faisaient rire. Soudain, plus aucun son. Quelques bruits de pas, et la porte de ma chambre s’ouvre à la volée. Je retiens mon souffle et plaque ma main sur ma bouche, d’instinct. Un homme s’approche, marche lentement autour de mon lit et dit :
-Ils ont une fille, elle est forcément là.
Un autre homme, dans la salle à manger, beuglait à l’intention de ma mère :
-N’essaye pas de nous enfler, connasse ! Si tu sais pas où est ton putain de mari, peut être que ta fille, elle, elle saura !
Et alors qu’il achevait ses paroles, l’homme dont les pieds se trouvaient à côté de mon visage recula, puis, d’un geste vif, m’asséna un coup de pied au visage. Ma surprise et ma douleur ne permirent pas de me taire, et je fus obligée de crier de douleur. En moins d’une seconde, je fus sortie de ma cachette et emmenée hors de mon habitation. J’hurlais, aussi fort que je pouvais, mais ma mère gisait, sur le sol, inconsciente. Elle ne pouvait rien pour moi. Nous habitions trop loin du village pour que quelqu’un put m’entendre. J’étais faite comme un rat. Je reconnus un véhicule, dans lequel ils m’enfournèrent comme un vulgaire paquet. Je gesticulais, du mieux que je pouvais, mais j’étais si faible et si effrayée que mes coups ne leur avaient strictement rien fait. Ils ont roulé, longtemps, très longtemps, avant de s’arrêter en pleine campagne. De là ils m’ont questionnée. Ils voulaient savoir où se trouvait mon père. Mais je ne savais pas, et cette réponse ne semblait guère les satisfaire. L’un me tenait, l’autre me frappait, le troisième fumait en me posant des questions. A chaque mauvaise réponse, j’avais le privilège de prendre un coup de poing dans le ventre. Je les suppliait à mon tour. J’étais si jeune… Comment aurais-je pu supporter une telle douleur sans cracher le morceau ? C’est ce qu’ils comprirent, malheureusement. L’un d’eux suggéra que je disais peut être la vérité. Je me pensais sauvée. Le goût du sang dans ma bouche m’étouffait presque, la douleur insupportable de mes côtes fêlées me tenait éveillée. Je m’attendais à ce qu’il me jettent dehors et s’en aillent. Je m’attendais à ce que mon père débarque et les jette hors du véhicule, qu’il me sert fort et qu’il me ramène à la maison. Ils se regardèrent longuement. Ils se sourirent. L’un d’eux arracha le haut de ma robe, celui qui m’assénait les coups souleva mon jupon. Je paniquais. J’en avais entendu parler. Pas ça. Pitié. Le sourire de mon tortionnaire se faisait clair. Très clair. Il caressa lentement mes cuisses. Pitié.
Je ne sais comment j’ai survécu. A moitié morte, ils ont balancé mon corps sous la pluie battante de cette nuit d’été. J’ai bu l’eau des marais, j’ai rampé, j’ai dormi. C’est tout ce dont je me souviens. J’ai réussi, je ne sais par quel miracle, à rentrer chez moi. Ma mère m’a regardée, j’ai vu une larme rouler sur ses joues bleues. Elle m’a enlacée, fort, très fort, a regardé mes vêtements et a instantanément comprit ce qu’il m’était arrivé. Elle a essuyé mes larmes. J’ai maudit mon existence, j’ai maudit mon père qui n’était pas venu. Oui, c’est vraiment la nuit où tout se passe. Le matin venu, on se réveille et le cauchemar est fini. Le mien n’était pas. Il venait tout juste de commencer.